Sigmund Freud. Une biographie intelectuelle
"En fait, le gaillard est un peu plus compliqué que ça..."
de Joel Whitebook
Presenté par Pierre-Henri Castel
Traduit de l'anglais sous la direction de Pierre-Henri Castel par Jean-Christophe Brossard, Wenshuo Fan, Dylan Guével, Ewald Jolly, Lilian Larribère, Benoît Peuch, Ileana Reinhold, Elizabeth Rossé, Justine van Wingene et Georges Zins.
« En général, la théorie d’un psychanalyste ne peut avancer plus loin que là où sa propre analyse a progressé. Ce que Freud a dissocié dans sa vie psychique s’est dissocié dans sa pensée, déterminant ainsi les limites de sa “pensée officielle” centrée sur le “complexe paternel”. [D]ans la mesure où le Freud ”officiel”, compte tenu de son histoire précoce, était incapable de faire appel à la dimension maternelle dans la vie psychique, il était tout aussi incapable d’explorer la part irrationnelle de la psyché et d’accomplir son propre programme théorique. » — Joel Whitebook
Né 1856 dans l’Empire austro-hongrois, décédé à Londres, fuyant les Nazis, en 1939, Sigmund Freud est mondialement connu comme le créateur de la psychanalyse. La singularité de son parcours, c’est l’entrelacement étroit entre les vicissitudes de son existence de Juif assimilé, athée, farouchement individualiste et politiquement libéral, animé par une foi profonde dans la science et les Lumières, et les idées théoriques plus sombres auxquelles il a donné un relief extraordinaire, et qui ont imprégné la culture du XXe siècle : inconscient, sexualité infantile, complexe d’Œdipe, transfert, pulsion de mort, toutes issues d’une réflexion révolutionnaire sur les rêves et les déchets et autres anomalies de la vie consciente (actes manqués, névroses, perversions, etc.). Qu’on l’adule ou qu’on la rejette, ou même qu’on s’efforce de la lire en restant « raisonnable », son œuvre continue de révéler à ses lecteurs leurs points aveugles, leurs contradictions et leurs conflits secrets.
Ouvrage publié avec le concours de l’École des Hautes Études en Sciences sociales (EHESS), Laboratoire interdisciplinaire des études sur les réflexivités, Fonds Yan Thomas.
Sigmund Freud. Une biographie intellectuelle
- Parution le 18/04/2025
- 160 x 235 mm, dos carré collé, 450 p.
- Bibliographie, Index
- EAN 9782490350629
Comment parler d’un individu aussi singulier que Freud en le resituant dans son univers socioculturel, sans le réduire à un grand décor, mais sans non plus faire du « génie » freudien la cause qui explique tout ? L’aspect fascinant de cette biographie tient à la façon dont s’y nouent les éléments les plus intimes de la fabrique de Freud, enfant exceptionnel de cette génération de Juifs qui s’émancipaient, et de sa famille bancale, famille chez qui Whitebook, exploitant des ressources post-freudiennes, met l’accent sur la « mère manquante » (et non plus le père de Freud). Or, dans cet univers, être juif et devenir un individu libre était d’emblée un problème à la fois sociopolitique et existentiel. Par là, l’œdipe (tout à fait bizarre !) de Freud communique avec certaines questions clés de la condition moderne. Et c’est Freud qui devient son propre cas à la lumière d’une psychanalyse soigneusement historicisée et philosophiquement réfléchie. Whitebook – c’est son originalité foncière parmi les biographes de Freud – soutient donc que l’invention freudienne est à double face : clinique, car tournée vers les drames de l’individu (souvent refoulés, y compris par Freud, dans son inconscient), et sociale, puisque critique des processus qui engendrent le « malaise dans la culture » dont la névrose individuelle est l’effet historique. Aussi cette biographie n’est-elle pas de l’histoire culturelle ou une plate contextualisation des idées freudiennes, ni non plus une facile psychanalyse du psychanalyste. C’est au contraire une critique croisée de l’une par l’autre, qui ouvre précisément un accès à ce qui fait de chacun, singulièrement, quelqu’un d’« un peu plus compliqué que ça ».
Joel Whitebook est un psychanalyste et philosophe américain né en 1947. Il vit et exerce à New York. Sa trajectoire intellectuelle a commencé à Berkeley à la fin des années 1960, où il étudiait la philosophie « analytique », qui commençait à s’institutionnaliser aux États-Unis. C’est là qu’il fit deux rencontres décisives : celle de la Théorie critique avec Marcuse, et celle de la « nouvelle gauche » féministe et postmarxiste. Quittant la Californie pour New York, il a ensuite étudié à la New School for Social Research, à l’époque de Hannah Arendt et de Hans Jonas. C’est dans ce contexte particulier qu’il s’est formé à la psychanalyse. Il a ensuite mené une double carrière d’enseignant en philosophie, à la New School, et au Centre de formation et de recherche en psychanalyse de l’université Columbia. Très averti des métamorphoses de la « psychanalyse contemporaine », ses deux registres d’intervention intellectuelle en font un personnage à part sur la scène américaine et internationale.